Qu’est ce que le gaullisme? (1/2) Les idées
Définir le gaullisme est une gageure. Il est clair que le gaullisme apparaît aujourd’hui comme une des grandes cultures politiques françaises comme le libéralisme, le communisme ou le socialisme. Il constituerait dès lors la seule idéologie du XIXème siècle à n’exister que dans le cadre national et à être désignée par le nom d’un homme. Toutefois, l’Histoire étant, pour le général de Gaulle, le lieu de la contingence au cœur de laquelle l’unique attitude est le pragmatisme, peut-on considérer le gaullisme comme une doctrine ? Du reste, de quel gaullisme parle-t-on, étant entendu qu’il faille distinguer le gaullisme de guerre, du gaullisme de la Libération, de celui du RPF, du gaullisme « gaullien » de gouvernement voire du pompidolisme? Dès lors qu’est-ce en définitive que le gaullisme ? Un idéal ? Une méthode d’action ? Ou une simple fidélité à un homme ? Un des traits frappants du gaullisme est précisément de constituer un phénomène protéiforme échappant à la rigueur des définitions unidimensionnelles. Aujourd’hui, c’est sans doute son héritage qui permet de le définir : avant tout constitué par le corpus d’idées du général de Gaulle, honni jadis mais dont nombre de partis se réclamaient encore naguère, le gaullisme a légué un système politique original, fruit à la fois des institutions mises en place en 1959 et des méthodes d’action du chef de l’Etat, et s’est incarné dans un courant politique unique révolutionnant la vie politique française. Dans cette première partie, il convient d’en comprendre les idées.
Le 18 juin 1940 marque l’acte de naissance du gaullisme. Pour salvateur qu’il fût, cet appel a porté les marques des idées originales d’un militaire ayant mûri dans une IIIème République agitée par les crises (affaire Dreyfus et instabilité parlementaire). Le gaullisme ne se rattache pas à une seule doctrine mais constitue une synthèse des traditions nationalistes du XIXème (Maurras, Péguy, Barrès, colonel La Rocque, Michelet, Déroulède) teintée de démocratie-chrétienne. Certains auteurs comme Serge Bernstein considère ainsi que la fonction du gaullisme n’a été que d’acclimater le nationalisme antirépublicain du XIXème siècle dans une France attachée aux principes républicains au XXème siècle.
Les idées du gaullisme : l’Unité impossible derrière un Etat fort, pour la grandeur, par une politique de l’effort.
De Gaulle a une « certaine idée de la France ». Pour lui, la France a un génie propre hérité de sa longue et brillante Histoire. La France incarne des idéaux de liberté et d’humanité, exerçant, par l’universalité de sa culture, une sorte de magistère moral sur le monde. L’idée essentielle est de faire jouer à la France sur la scène mondiale un rôle bien supérieur à sa puissance réelle en lançant un défi permanent au système bipolaire en place comme lors du discours de Brazzaville (1944) ou celui de Pnom Penh (1966). Afin d’assurer son respect sur la scène internationale, elle doit assurer avant tout son indépendance (songeons à ses refus obstinés durant la Seconde guerre mondiale face aux Alliés ou à sa campagne contre la CED) et sa puissance qu’il assure par l’obtention d’une puissance atomique propre (1960) mais aussi par une économie résolument tournée vers la puissance (accumulation de réserves d’or, priorité aux exportations et grands projets industriels comme le Concorde ou le plan Calcul au détriment parfois de la consommation comme lors du plan Pinay-Rueff).
A cette France de génie de Gaulle oppose la médiocrité de son peuple qui ne serait qu’un « agrégat inconstitué de peuples désunis » (Mirabeau) dont il faut organiser le rassemblement. Legaullisme refuse de se définir comme un simple courant politique représentant une doctrine ou un projet de société, ajoutant de la division en défendant des intérêts de corporations. Il est au-dessus des partis : le RPF propose la double-appartenance politique et l’UNR ne deviendra réellement un parti politique qu’en 1962 avec l’instauration de l’élection du président de la République au suffrage universel direct. Pour le général, cette unité est possible sous la houlette d’un Etat fort, dirigé par une personnalité dotée de prérogatives particulières. Ne pouvant pas défendre des coalitions particulières, il ne doit pas émaner du Parlement. Le président doit pouvoir négocier les traités, promulguer les lois, consulter le pays, par dissolution (article 12 de la Constitution) ou référendum législatif (article 11), et, en cas de péril, exercer une sorte de dictature à la romaine (article 16). Enfin, il faut organiser la réconciliation sociale par la participation, programme politique à mi-chemin du capitalisme et du socialisme, associant aux résultats et aux responsabilités toutes les catégories de la population active.
Ce programme ambitieux de grandeur et d’unité nationale requiert une politique de l’effort faite de volontarisme et de réalisme. Volontarisme incarné dans le « refus gaullien » contre la défaite en 1940, contre le traité de Moscou en 1963 interdisant les essais nucléaires, contre la supranationalité en Europe avec la politique de la chaise vide en 1965. Réalisme géopolitique qui ne prête aux Etats que des appétits et des intérêts et fonde les relations internationales sur la puissance et la ruse. Contre ces géants, s’allier avec ses ennemis d’hier n’est pas impossible, d’où le traité de l’Elysée avec l’Allemagne en 1963. Pragmatisme enfin, la fin justifiant les moyens, au prix parfois de se renier idéologiquement comme certains le disent sur l’indépendance de l’Algérie. Tout l’art du général a consisté à faire croire qu’il contraignait les événements à se mouler dans le plan qu’il avait au préalable conçu, alors que le plus souvent il devait s’incliner face à la nécessité des faits.
Héritées des courants nationalistes et démocrates-chrétiens du XIXème siècle, les idées gaullistes tournent autour d’un triptyque original : grandeur de la France, unité d’un peuple désuni, dirigé par un Etat fort menant une politique volontaire et pragmatique. Toutefois, le gaullisme, qui entendait rassembler les Français au-dessus de leur division, s’est trouvé constamment contesté par une partie de l’opinion et devint paradoxalement pour les Français une source de nouvelles divisions. Une mutation que seule l’étude du gaullisme à l’épreuve des faits peut expliquer. (à suivre)